Lettre ouverte – aux Ministres belges de l’agriculture, de l’environnement et du climat

Messieurs et Mesdames les Ministres,

Nous vous écrivons pour vous faire part de notre profonde inquiétude concernant le discours dangereux qui oppose la sécurité alimentaire à la durabilité environnementale et qui est de plus en plus utilisé par certains décideurs et par les organisations sectorielles.  

La guerre en Ukraine et les graves perturbations qu’elle a créées sur les marchés agricoles appellent des mesures urgentes pour répondre aux préoccupations à court terme en matière de sécurité alimentaire et d’accessibilité, en particulier en Afrique du Nord et Moyen-Orient. Toutefois, elle ne doit pas être utilisée par opportunisme comme prétexte pour affaiblir les ambitions environnementales de l’Europe et en particulier de la politique agricole commune, ou pour remettre en question les initiatives politiques visant à rendre le système alimentaire de l’UE plus durable et plus résilient. 

Nous vous écrivons pour que, dans le futur plan de la Politique Agricole Commune (PAC), vous souteniez une agriculture plus résiliente et autonome, qui permette de réduire largement la dépendance de l’Europe et de la Belgique à l’égard des importations . Nous vous demandons de:

  • Insister sur l’importance que ces plans stratégiques PAC contribuent explicitement et de manière quantitative aux objectifs du Green Deal, notamment en matière réduction d’usage de pesticides, d’engrais chimiques, de développement de l’agriculture biologique et d’enrayement de la chute de biodiversité dans les milieux agricoles. 
  • Soutenir, dans le contexte d’une nécessaire souveraineté accrue vis-à vis des intrants agricoles (aliments du bétail, intrants chimiques, pétrole etc.), via le plan stratégique PAC, des formes d’agriculture plus résilientes et donc plus autonomes face à ces intrants, tant en élevage qu’en culture. En particulier: 
    • Renforcer le soutien aux cultures favorables à l’environnement, de l’agriculture biologique et aux cultures protéiques favorisant l’autonomie de nos fermes. Les rotations plus longues de cultures, incluant des légumineuses fixatrices d’azote, peuvent remplacer les engrais synthétiques par la fixation biologique et auraient également d’énormes effets bénéfiques sur le climat, la qualité de l’air et de l’eau.
    • Revoir à la baisse le budget de l’aide couplée en fonction de ces nouvelles priorités, car il est plus que jamais nécessaire d’adapter la taille du cheptel aux surfaces fourragères disponibles et de soutenir un modèle agricole basé sur la complémentarité entre l’élevage et cultures, afin de garantir la fertilité des sols et remplacer les engrais azotés à long terme. 
    • Revoir les écorégimes incitant à la baisse de la charge en bétail. En effet, la transition vers un élevage plus autonome en fourrages et nourris à l’herbe peut atténuer considérablement la pression sur les réserves mondiales de céréales et protéagineux, et libérer des surfaces à l’étranger pour nourrir les hommes. Dans le futur plan de la PAC en Wallonie, les montants unitaires payés aux éleveurs pour transiter vers un élevage plus autonome ne sont pas en phase avec la réalité économiques et sont loin d’être incitatifs (1).
    • Promouvoir l’indépendance des pesticides, la lutte intégrée, le bien-être animal et la résilience climatique par le développement des surfaces non productives dans les milieux agricoles. Il est vain et dangereux pour l’avenir de l’agriculture de vouloir remettre en cause la part de maillage agroécologique dans les milieux agricoles, ceux-ci rendant de nombreux services écosystémiques sous-jacents à l’équilibre et la durabilité des systèmes agricoles. Enrayer le déclin de la biodiversité en développant 10% de maillage en cultures et 15% en prairie est une priorité. De plus, le potentiel de surfaces disponibles et leur capacité productive est très limité. Notons qu’en Wallonie par exemple, pour l’année 2019, moins de 1 millième des terres agricoles étaient déclarées en jachère (2).

Au lieu d’abandonner les pratiques agricoles durables dans le seul but d’augmenter la production à court terme, des leviers structurants au niveau de la demande doivent selon nous être activés pour renforcer la résilience de nos systèmes alimentaires ainsi que notre souveraineté : 

  • Accélérer la transition vers des régimes alimentaires plus sains avec moins de produits animaux élaborés à base de céréales et oléoprotéagineux. 56 % des céréales en Belgique sont utilisées pour nourrir le bétail; dans le même temps, la consommation de protéines animales en Belgique reste deux fois supérieure aux niveaux recommandés. Une évolution vers une plus grande consommation humaine de légumineuses, de légumes et de fruits est nécessaire.
  • Abandonner rapidement l’obligation d’incorporation de biocarburants issus de matières premières alimentaires et cesser les incitations qui viseraient à utiliser les cultures alimentaires et fourragères à des fins  bioénergétiques. En 2020, 40 % du bioéthanol à la pompe en Belgique était à base de blé (3). Ce n’est pas normal à l’heure où l’on parle de crise alimentaire mondiale et de solidarité internationale. Ceci permettra de libérer des terres précieuses pour la production d’aliments en réponse à la crise alimentaire mondiale. 
  • Réduire de 50% le gaspillage alimentaire d’ici 2030. Selon des calculs récents, la quantité de blé gaspillée dans l’UE représente environ la moitié du montant des exportations de blé de l’Ukraine et un quart des exportations d’autres céréales (4). Le gaspillage alimentaire ne contribue pas seulement à la mauvaise distribution des denrées alimentaires, il est également responsable d’une grande partie de l’empreinte écologique de notre système alimentaire. Avec 345 kg de nourriture gaspillée par personne par an, la Belgique reste le deuxième plus mauvais élève d’Europe.

La souveraineté alimentaire, la résilience et la protection de l’environnement sont indissociables, mais le risque existe que nous négligions, une fois de plus, cette relation étroite. Les systèmes alimentaires mondiaux continueront d’être affectés par des crises et des incertitudes au cours des années et décennies à venir. Il est temps d’agir de manière responsable et de prendre les mesures nécessaires pour que l’Europe soit mieux préparée et plus résiliente à l’avenir. 

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de nos sentiments distingués, 

Antoine Le Brun
CEO
WWF-Belgique

Philippe Funcken
Directeur Général
Natagora

Marc Fichers
Secrétaire Général
Nature & Progrès

Sylvie Meekers
Directrice Générale
IEW

Valérie del Re
Directrice Générale Greenpeace Belgique


(1) Veuillez trouver ici les recommendations de la coalition Impaacte pour le Plan stratégique PAC: https://impaacte.be/position-ouverte-de-lunab-et-dimpaacte-sur-le-plan-strategique-pac-wallon-2023-2027
(2) Source: déclarations PAC 2019
(3) https://www.iew.be/wp-content/uploads/2022/03/PUB-2022-03-Evaluation-de-la-politique-belge-dincorporation-dagrocarburants-No-4.pdf
(4) https://zenodo.org/record/6371849#.YjnmvufMKM8

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