Il est urgent de revoir le plan PAC wallon pour qu’il soutienne l’autonomie et la résilience des élevages et soit compatible avec les objectifs environnementaux du Règlement européen !

En cette rentrée politique, le plan stratégique PAC reste l’un des dossiers très sensibles et urgents à l’agenda du gouvernement wallon. Deux sujets font toujours l’objet de préoccupations majeures sur les aspects socio-environnementaux du plan. Ils ont été mentionnés par le Ministre de l’Agriculture lui-même lors de la Foire de Libramont: il s’agit des aides à la biodiversité et de l’aide couplée au bétail ruminant.

L’élevage wallon sous pression

Les éleveurs wallons sont sous pression avec une augmentation des prix des aliments pour le bétail, les sécheresses à répétition, et une baisse de leurs marges. Les élevages les plus autonomes vis-à-vis des intrants achetés, des aliments et des fourrages sont ceux qui s’en sortent le mieux et sont plus résilients face à ces chocs extérieurs qui se multiplient.

L’autonomie et la résilience des élevages sont aussi des éléments cruciaux pour l’environnement, puisqu’ils permettent (1) d’assurer la pérennité des prairies permanentes à long terme (qui constituent des stocks importants de carbone); et (2) de ramener les densités de bétail à des niveaux compatibles avec les enjeux climatiques et avec la préservation de la biodiversité. La densité de bétail ruminant en Wallonie est, en moyenne, deux fois supérieure à la densité européenne (2 UGB/ha contre 1 UGB/ha). Or, on sait que la biodiversité des prairies se redéploie lorsque l’on tend vers 1 UGB/ha.

C’est pourquoi il est critique que les incitants du plan PAC, qui sont sur la table de négociation avec la Commission européenne encouragent cette autonomie et cette résilience. 

Dans ce contexte, ImPAACte a analysé les soutiens cumulés (plus de 21% du budget du 1er pilier de la PAC) directement liés à l’élevage bovin viandeux en fonction de la densité de bétail. L’analyse du cumul du soutien couplé aux élevages de bovins viandeux avec l’éco-régime aux prairies permanentes et avec la mesure agro-environnementale et climatique (MAEC) incitant à l’autonomie fourragère révèle les résultats suivants.

Les soutiens proposés dans le plan PAC sont incompatibles avec les objectifs du Règlement européen

L’analyse du projet de plan PAC wallon soumis à la Commission Européenne montre que les aides cumulées encouragent l’intensification des élevages bovins viandeux. On mesure la densité de bétail en “unités de gros bovins” (UGB) par hectare de surface fourragère destinée à l’alimentation du bétail, une unité standard dans laquelle une vache laitière équivaut à 1 UGB et une vache viandeuse 0,8 UGB. L’analyse montre que les maximums de soutien financier sont obtenus pour 5,4 UGB/ha pour l’exploitation bovin viandeuse wallonne de taille moyenne (60ha) avec un actif agricole !

Or, en termes socio-économiques, l’analyse d’incidence environnementale du plan PAC montre que l’aide couplée qui soutient cette intensification présente beaucoup plus de risques que de bénéfices pour les éleveurs. Ainsi: “force est de constater que le soutien couplé n’a pas permis d’inverser la tendance aux cours des dernières programmations de la PAC. Il apparaît que le soutien couplé favorise une viabilité à court terme de ces filières, mais ne favorise pas de réorientation ou d’amélioration de leur rentabilité” (pp. 128-131).

La comparaison avec la PAC actuelle montre également que dans le projet de plan stratégique PAC pour 2023 – 2027 :

  • la situation est soit moins favorable soit en statu-quo pour les élevages extensifs entre 0,6 et 1,4 UGB/ha, qui sont pourtant les élevages les plus durables pour la biodiversité et le climat;
  • l’incitant à réduire la densité du bétail entre 2,8 et 1,4 UGB/ha disparait, ce qui est une régression environnementale; 
  • on observe un relatif statu-quo au delà de 2,8 UGB/ha, avec des aides qui augmentent avec l’intensification, jusqu’à un plafond plus ou moins loin en fonction de la taille de l’exploitation; dans certaines situations (grandes exploitations avec  peu d’actif) les soutiens financiers plafonnent plus vite.

En termes de simplification administrative, on s’interroge sur la complexité du dispositif à trois mesures dont les incitations économiques sont complexes à interpréter, pour un résultat contre-productif pour l’environnement.

Il est clair que le mécanisme proposé ne répond pas aux besoins environnementaux identifiés dans le plan stratégique PAC wallon.

Plus grave encore, l’architecture des aides à l’élevage bovin viandeux ne semble conforme ni aux objectifs environnementaux de la nouvelle PAC (art. 6, §1 du Règlement européen), ni au principe d’ambition environnementale accrue (art. 105 du Règlement européen).

Il nous semble donc urgent de déposer sur la table du gouvernement une proposition avec des objectifs de justice sociale et environnementale. Une proposition:

  • qui favorise une viabilité de la filière viandeuse à long terme, favorisant l’amélioration de la rentabilité et la résilience des élevages wallons dans un contexte de crises;
  • qui valorise les élevages plus extensifs avec une plus-value environnementale démontrée (<1,4 UGB/ha);
  • qui réaffirme, voire augmente, l’incitation existante à réduire la densité de bétail entre 2,8 et 1,4 UGB; et enfin
  • qui permette de plafonner les montants d’aides perçues au-delà de ces densités.

Les résultats de notre analyse

Nous avons combiné les aides PAC liées au bétail bovin viandeux telles que proposées dans le plan stratégique PAC wallon soumis à la Commission Européenne le 17 mars 2022 (ci-après le « PSW v1 »), c’est-à-dire le soutien couplé aux vaches viandeuses, l’éco-régime prairie permanente conditionné à la charge, et la MAEC autonomie fourragère.

  • L’effet combiné des aides considérées encourage l’intensification des exploitations jusqu’à un maximum à 5,4 UGB par ha de surface fourragère (ci-après « UGB/ha SF ») pour des exploitations de 60 ha de surface fourragère (surface correspondant à la moyenne wallonne) avec un actif agricole.
Exploitation de 60 ha avec 1 actif
Exploitation de 60 ha avec 1 actif
  • Cette conclusion vaut pour la période initiale 2023-2024 ainsi que pour la période 2025-2026 (après suppression de l’aide à la prairie permanente en fonction de la charge en UGB pour les charges supérieures à 2,8 UGB/ha SF) et à compter de 2027 (après suppression de l’aide à la prairie permanente en fonction de la charge en UGB pour les charges supérieures à 2,6 UGB/ha SF) (composante de l’éco-régime aux prairies permanentes).
  • Cette situation s’explique du fait du poids prépondérant du soutien couplé parmi ces 3 aides, poids qui annule l’incitation comparativement très légère de l’éco-régime et de la MAEC à extensifier afin d’encourager une plus grande autonomie de l’élevage, de promouvoir des pratiques favorables à la biodiversité et de réduire la contribution du secteur au changement climatique.
  • Le maximum financier théorique des subventions est atteint lorsque la charge atteint 10,8 UGB/ha SF lorsque l’exploitation de 60 hectares de surface fourragère dispose de deux actifs agricoles. Au-delà de 10,8 UGB/ha SF, le montant des subventions atteint un maximum.
Exploitation de 130 ha avec 2 actifs
Exploitation de 60 ha avec 2 actifs
  • Pour une exploitation environ 2 fois supérieure à la moyenne wallonne (130 ha SF) avec un actif agricole, les maxima de paiements sont atteints pour des densités comprises entre 1,4 et 2,6 UGB/ha SF. Le montant des aides est ensuite découplé (fixe indépendamment de la charge) à un montant inférieur au-delà de 2,6 UGB/ha SF. Lorsqu’il y a deux actifs agricoles sur l’exploitation, les aides atteignent le maximum à 5 UGB/ha SF.
  • Le plafond revu à la baisse de 250 à 145 animaux éligibles par actif agricole dans le PSW v1 affecte uniquement les exploitations de taille moyenne dont la charge est supérieure à 5,4 UGB/ha SF, ou les très grandes exploitations avec un seul actif. Cette modification de plafond n’a donc pas d’incidence environnementale significative concernant la densité de bétail.
  • La comparaison avec les paiements de la PAC 2014-2022 actuellement en vigueur met en évidence les points suivants:
  1. Pour les exploitations se situant entre 1,4 et 2,8 UGB/ha SF réduire la densité de bétail présente un intérêt financier dans le cadre de la PAC 2014-2022. Le PSW v1, quant à lui, subventionne approximativement au même niveau les exploitations ayant une densité de bétail comprise entre 1,4 et 2,8 UGB/ha SF, supprimant ainsi l’incidence environnementale positive existant dans le régime actuel ;
  2. Pour les exploitations de 60 ha SF à 1 ou 2 actifs et celles de 130 ha SF à 2 actifs avec des densités de bétail sous 1,4 UGB/ha SF et au-dessus de 3 UGB/ha SF, le PSW v1 a un effet identique à la PAC actuelle, c’est-à-dire encourage l’intensification ;
  3. La seule situation où la proposition présente une amélioration est pour les exploitations de plus de 130 ha SF avec un seul actif : alors l’aide est plafonnée au-dessus de 2,6 UGB/ha SF. En revanche la situation se dégrade toujours dans ce cas de figure aussi en dessous de 2,6 UGB/ha SF ;
  4. Le niveau de soutien financier est globalement plus élevé à tous les niveaux de charge dans le PSW v1 par rapport à la PAC 2014-2022 en vigueur ;
  5. Du fait de la modification du mode de calcul des UGB dans le cadre du PSW v1, les élevages dont la densité de bétail est comprise entre 0,6 UGB/ha et 0,7 UGB/ha vont voir leur nouvelle densité inférieure à 0,6 UGB/ha SF et leurs aides d’autant réduites

L’analyse comparative montre donc que la proposition n’apporte globalement pas d’amélioration et ne répond pas aux enjeux environnementaux du plan ; en outre on observe une diminution de l’ambition environnementale dans deux situations : pour les éleveurs les plus extensifs suite au changement de calcul des UGB, et entre 1,4 et 2,8 UGB/ha à cause de l’articulation entre le nouvel éco-régime et la MAEC autonomie fourragère proposés.

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