Les prairies wallonnes ne sont pas des puits de carbone !

Il y a quelques mois, une fuite de la lettre d’observation de la Commission sur le plan stratégique PAC proposé par la Wallonie révélait que le plan stratégique PAC wallon est notoirement insuffisant pour répondre aux enjeux du climat et de la biodiversité. Un rapport récent vient confirmer la faiblesse de la politique climatique wallonne en agriculture.

Le plan de réduction des émissions de GES en agriculture fondé sur une « croyance non étayée » …

D’après Thierri Walot, Chargé de mission à l’Université Catholique de Louvain, les scénarios de réduction des émissions des gaz à effet de serre du secteur agricole développés par les autorités publiques reposent sur une « ‘croyance’ scientifiquement très peu étayée ». Le travail rigoureux de diagnostic de base, préalable nécessaire à toute stratégie politique, ferait défaut. Th. Walot propose donc son propre diagnostic dans un rapport récent, repris dans les pages du Sillon belge, où il fait l’analyse détaillée et quantifiée des sources et éventuels « puits » de carbone agricoles d’après les données de l’Agence de l’Air et du Climat.

Aux termes du rapport, deux enseignements majeurs ressortent :

A. Les prairies wallonnes ne stockent pas de carbone, elles en émettent !

Les politiques wallonnes de réduction des émissions de GES sont traditionnellement basées sur la considération que les prairies permanentes sont des « puits de carbone » sans fonds : chaque année, toute prairie wallonne stockerait en moyenne 302 kg de CO2 par hectare ([1]).

Et pourtant, il s’avère que les prairies wallonnes sont globalement émettrices. Elles ne sont donc pas les « puits de carbone » tant vantés. Si elles constituent bien des stocks très importants ([2]), il faut bien constater que ces stocks s’érodent progressivement, et ce au moins depuis 2004 ([3]).

B. L’élevage est la source de 80% des émissions de GES de l’activité agricole en Wallonie

Sur l’ensemble des émissions de GES du secteur agricole wallon pour l’année 2019 (soit 4.899 kilo tonnes équivalent CO2), pas moins de 80 % sont liées aux activités d’élevage de bovins ([4]). Les émissions entériques et les émissions liées à la gestion des effluents représentent à elles-seules 43 % des émissions ([5]).

Quel impact sur la politique climatique wallonne en agriculture ?

Ces éléments sont interpellants et pourtant, à ce jour, ils ne sont pas pris en compte dans la politique climatique wallonne. C’est le cas en particulier dernièrement dans le projet de Plan Stratégique wallon pour la Politique Agricole Commune 2023-2027 ([6],[7],[8]). Conséquence : les émissions nettes de l’élevage wallon, aujourd’hui et pour l’avenir, y sont fortement sous-estimées.

Au terme de son exercice de diagnostic, Thierri Walot conclut : une révision de l’approche wallonne actuelle sur la base des meilleures connaissances scientifiques disponibles est « hautement souhaitable ».


[1] Belgium’s greenhouse gas inventory (1990-2017), National Inventory Report. Submitted under the United

Nations Framework Convention on Climate Change, avril 2019, p. 236.

[2] Une prairie permanente stocke de l’ordre de 87 tonnes par hectare contre seulement 51 tonnes par ha dans les terres arables (Ibid., p. 249). Et lorsqu’une terre arable est convertie en prairie permanente, cela produit un effet de fixation de carbone pendant 20 à 40 ans. A l’inverse, la conversion d’une prairie permanente en terre arable va progressivement libérer du carbone suivant sa nouvelle utilisation (Th. Walot, « Estimation de la part des différentes sources d’émissions de GES dans l’activité agricole en Wallonie – La pièce manquante pour une politique climatique sérieuse en agriculture », UCL, juin 2022, p. 6).

[3] Ibid., p. 6 ; Extrait : « Le bilan annuel des émissions de l’ensemble des prairies permanentes pour 2020 est de 116kt de CO2 émis : les prairies représentent une émission de 192kt de CO2 émis, tandis que les effets et ‘arrières-effets’ des conversions d’autres utilisations des sols en prairies permanentes représentent un puits de -76kt ».

[4] Ibid., p. 11.

[5] Ibid., p. 11.

[6] Le projet de Plan Stratégique wallon pour la Politique Agricole Commune 2023-2027 (soumis le 17 mars 2022) se base toujours sur l’idée erronée que les prairies permanentes stockent du carbone (Plan Stratégique PAC wallon, « Projet d’analyse SWOT pour la Wallonie », D20).

[7] En outre, les perspectives dessinées dans le projet de Plan Stratégique wallon pour la PAC 2023-2027 (soumis le 17 mars 2022) reposent sur l’hypothèse que les superficies de prairies permanentes en Wallonie vont croître. Hypothèse fantaisiste en contradiction totale avec les chiffres de l’Office belge de statistique qui note une diminution de cette superficie de 50.000 ha entre 1990 et 2019 (T. Walot, op. cit., p. 13)

[8] T. Walot, op. cit., p. 10.  Extrait : « La représentation des prairies permanentes comme des puits absorbant en moyenne chaque année davantage de carbone est totalement erronée et ne peut plus être mise en avant comme un avantage de l’élevage comme dans [le] plan stratégique où on peut lire ‘Les prairies, en stockant du carbone, agissent en puits de carbone et compensent en partie les émissions de GES du cheptel bovin’ »

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